Qu’est-ce qu’une formation obligatoire ?

Responsables RH ou formation, vous êtes-vous préparés pour le bilan à 6 ans ? Celui qui, dans les dispositions actuelles de la loi (article L6323-13 ) prévoit que tous les 6 ans, l’entretien professionnel, dit « entretien de bilan », fait le récapitulatif de la période écoulée.

Au cours de cette période, le salarié doit avoir bénéficié d’au moins trois entretiens professionnels et d’au moins deux sur trois des mesures suivantes :
– accès à la formation
– augmentation ou promotion
– accès à la certification, même partielle.

A défaut, l’employeur doit déclarer la situation à l’OPCA, et procéder à un abondement correctif du CPF. Cet abondement est de 100 heures pour les salariés à temps plein, et 130 heures pour les salariés à temps partiel. Chaque heure ainsi abondée est valorisée à 30€, soit une somme de 3000 à 3900€ à verser à l’OPCA.

Le premier bilan aura lieu 6 ans après la promulgation de la loi qui l’a institué, soit au plus tard le 7 mars 2020.
Mais pas dans les termes que je viens de rappeler. Car le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, dans sa version actuelle, modifie les points à vérifier. En plus des entretiens professionnels, il n’y a plus qu’une condition : avoir donné accès au salarié à une formation non obligatoire. Plus simple ? Pas sûr.

Le projet de loi est rédigé comme suit (55), les mentions en italiques remplacent les renvois aux articles par leur contenu en clair :

« Dans les entreprises d’au moins cinquante salariés, lorsque le salarié n’a pas bénéficié, durant les six ans précédant l’entretien (…) de bilan, des entretiens (…) professionnels et d’au moins une formation autre que celle mentionnée à l’article L. 6321-2, un abondement est inscrit à son compte dans des conditions définies par décret en Conseil d’Etat, et l’entreprise verse (…)un somme dont le montant (..) ne peut excéder six fois le montant annuel (…) de valorisation du CPF. »

Que nous dit-donc l’article L. 6321-2 ?
Sa future rédaction (20), selon le projet de loi, est la suivante :

« – Toute action de formation qui conditionne l’exercice d’une activité ou d’une fonction, en application d’une convention internationale ou de dispositions légales et règlementaires, constitue un temps de travail effectif et donne lieu pendant sa réalisation au maintien par l’entreprise de la rémunération. ».

« Avant, les conditions de déclenchement de l’abondement correctif étaient floues », a dit en substance Catherine Fabre, rapporteure du projet de loi, lors de son intervention à la matinée « Dessine moi la réforme » du Centre Inffo. Les avis divergeaient sur le sens qu’il fallait donner aux différents critères. Maintenant, en plus des entretiens professionnels, il n’y a plus qu’un critère : le salarié doit avoir bénéficié d’une formation non obligatoire. C’est simple ».

Mme Fabre faisait ainsi référence à la disposition (11) qui remplace « deux des trois critères » mentionnés ci-dessus par un seul : « une formation autre que celle mentionnée à l’article L. 6321-2 ».

Formation obligatoire : de quelle obligation parle-t’on ?
Obligatoire en application d’une convention internationale ou de dispositions réglementaires
– Pour ce qui est des conventions internationales ou des obligations réglementaires, c’est simple en effet. De nombreuses professions, des marins pêcheurs aux intermédiaires en crédits, sont soumises à des formations, dont la durée même peut être strictement fixée.

Obligatoire en application de dispositions légales
– Pour ce qui est des dispositions légales, il convient de se rapporter à l’article L. 6321-1 CT, qui n’est pas modifié par le projet de loi :

« L’’employeur assure l’adaptation des salariés à leur poste de travail.
Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations. Il peut proposer des formations qui participent au développement des compétences, y compris numériques, ainsi qu’à la lutte contre l’illettrisme, notamment des actions d’évaluation et de formation permettant l’accès (…) à CLéA. »

Trois niveaux « decrescendo » d’obligation, donc : il « adapte »
– obligation de résultat. Il « veille »
– obligation de moyen. Il « peut proposer », facultatif.

Les deux premiers, « adapte » et « veille » sont actuellement regroupés dans la catégorie 1 des actions au plan de formation, celles qui s’effectuent obligatoirement sur temps de travail.

Relèvent donc de la formation obligatoire toutes les actions qui correspondent aux compétences attendues du salarié dans son poste actuel (« adapte ») et toutes celles qui ont pour but de permettre au salarié de s’adapter aux évolutions de son emploi, ou d’occuper un autre emploi, dans l’entreprise ou ailleurs, si le sien venait à disparaître.

Cet article L6321-1 est lui-même issu d’une jurisprudence constante depuis plus de trente ans.

A propos de l’obligation d’adaptation, le juge apprécie l’adéquation de la durée de la formation reçue par le/ la salarié (e) et ce qui lui est demandé (Cass. Soc 29 novembre 2007, salariée licenciée pour insuffisance professionnelle alors qu’elle n’avait bénéficié que d’une formation de 15 jours pour accéder aux fonctions de seule comptable de l’entreprise).

La formation visant l’adaptation au poste de travail relève de l’exécution « de bonne foi » du contrat de travail par l’employeur – la formation est l’un des moyens qui doit être mis à disposition du salarié pour faire ce que l’on attend de lui.

Mais le juge va au-delà. Pour la Cour de Cassation, « peu importe que le salarié ait fait valoir ses droits individuels au départ en formation, peu importe également qu’il n’ait demandé à bénéficier d’aucune mutation ou changement de poste pouvant justifier un départ en formation. L’obligation pèse sur l’employeur ; c’est à lui qu’incombe la responsabilité d’assurer le maintien de l’employabilité du salarié » (Cass. Soc. 20/09/2017, à propos d’une salariée qui n’avait bénéficié d’aucune formation en sept ans).

Une salarié agent de production est victime d’une tendinite à l’épaule, et déclarée inapte à tout poste en production. Elle a bien reçu des formations, en huit ans, mais seulement en rapport avec le poste qu’elle occupait (hygiène-sécurité). Elle reproche à son employeur « de ne pas lui avoir fait bénéficier de formations régulières et de ne pas avoir entretenu et développé des compétences plus larges que celles qui étaient mobilisées pour son emploi d’agent de fabrication ».

L’employeur énonce, de son côté, que « la salariée a bénéficié de formations en rapport avec l’emploi qu’elle occupait et que l’obligation à laquelle il était soumis n’était qu’une obligation d’adaptation de la salariée à l’évolution de son emploi d’agent de production ».

La Cour d’Appel, approuvée par la Cour de Cassation, considère que l’intéressée, qui est titulaire d’un BTS, aurait dû bénéficier, durant une période aussi longue, d’autres formations »(…).

« Ce manquement de l’employeur à son obligation résultant des dispositions de l’article L. 6321-1 du code du travail a eu nécessairement pour effet de limiter sa recherche d’emploi à des postes ne nécessitant pas de formation particulière et de compromettre son évolution professionnelle », poursuit la cour d’appel. En conséquence, les juges lui allouent une somme de 6 000 euros à titre de dommages et intérêts. (Cass. Soc 5 octobre 2016).

Donc, si l’on se résume, Formation obligatoire =
Formation d’adaptation au poste de travail,
Formation visant à maintenir la capacité à occuper un emploi, ou à occuper un nouvel emploi dans le cadre d’un reclassement.
C’est-à-dire, les formations relevant actuellement de la catégorie 1 du plan !
Le site du Ministère de l’Economie est d’ailleurs très clair sur le sujet.

Mais alors, que reste t’il comme formations « non obligatoires » pouvant entrer dans le champ du « bilan à 6 ans » et dédouaner l’employeur de l’abondement correctif ?

Et bien… les actions qui étaient supposées figurer à la catégorie 2, dites « de développement des compétences » ! C’est-à-dire, , les actions visant une promotion, une mobilité choisie. Tiens tiens, nous voici dans le champ potentiel de la Pro-A.
Des actions de lutte contre l’illettrisme, ou permettant d’accéder à CLéA.
C’est l’interprétation proposée par Fuzi FEHTI, juriste-consultant à la direction juridique de Centre Inffo.

Et pourquoi pas des actions de développement des compétences non mobilisées par le poste actuel, ni dans l’évolution prévisible de l’emploi – elles relèveraient alors de l’obligation. Des compétences transversales, qui pourront être mobilisées dans d’autres situations… à condition qu’elles s’incarnent assez vite dans le travail réel.

Si votre système de gestion de la formation distinguait les deux catégories, ne l’abandonnez pas, car il vous faudra désormais suivre l’accès de chaque salarié à des formations « non obligatoires ». Et, au fait, à une question de la salle, Mme Fabre a répondu que, selon elle, l’accord par l’employeur d’un CPF sur temps de travail, qui entraîne forcément la prise en charge des coûts salariaux pendant la formation, ne venait pas satisfaire la condition d’accès à une formation « non obligatoire ». A suivre.

La simplicité … ce n’est pas si simple !

source http://www.formation-professionnelle.fr